Ce lundi 5 mai 2021, nous avons interviewé Laurent Grandguillaume, vice-président de la fondation « Travailler autrement » et ex-député sur ses travaux concernant les travailleurs de l’immobilier. En effet, c’est dans le contexte du rapport qu’il a réalisé pour la FNAIM que nous avons échangé. Ce rapport, commandé en octobre 2020 et publié le 8 avril 2021 permet de mieux comprendre et d’accompagner les travailleurs de l’immobilier dans un souci de restructuration du dialogue social.
Il est important de rappeler que ce sont les personnes qui choisissent leur statut. Elles peuvent devenir indépendantes, en tant qu’agent commercial inscrit au registre spécial des agents commerciaux (RSAC), en créant une entreprise individuelle au régime réel, ou au régime de microentreprise. Mais elles peuvent aussi choisir un statut conciliant l’autonomie et la protection sociale du salariat en tant que négociateur avec le statut juridique de portage salarial.
Dans ce cas, elles nouent un contrat de prestation avec une agence immobilière, ou un réseau, et bénéficient d’un contrat de travail dans une entreprise de portage salarial. C’est un statut hybride qui permet d’avoir accès à l’assurance chômage, à une mutuelle, aux droits à la retraite, aux droits à la formation, tout comme à une assurance RCP. Cela permet aussi de déléguer en quelque sorte toutes ses tâches administratives pour se concentrer sur sa prospection et le développement de son chiffre d’affaires. Tout le monde n’est pas à l’aise avec la gestion en propre d’une entreprise.
Les acteurs économiques du secteur de la transaction immobilière ont quant à eux besoin de faire appel à des compétences externes pour prendre en compte le besoin de flexibilité lié à l’activité. Ce secteur a toujours fait appel à de nombreux indépendants. Ces besoins sont en croissance comme le montrent les derniers chiffres publiés avec une majorité d’indépendants dans le secteur. Mais il y a aussi de plus en plus de salariés dans les agences et dans les entreprises de portage salarial.
L’un ne chasse pas l’autre, ce serait avoir une vision malthusienne. Au contraire, les deux, indépendance et salariat, se renforcent mutuellement dans un secteur en plein développement malgré la crise sanitaire. Ce qui évolue fortement, ce sont les postures, en particulier managériale. Comment manager un projet dans lequel il y a des salariés et des indépendants ? C’est tout l’enjeu des entreprises pour les temps à venir et elles peuvent s’inspirer d’ailleurs des bonnes pratiques dans le secteur de l’IT par exemple.
Un négociateur en portage salarial cotise à la formation professionnelle à travers l’entreprise de portage salarial. Il peut donc faire appel à des fonds, en complément de son CPF, pour financer sa formation en particulier dans le cadre de la formation continue suite à la loi ALUR. C’est un point très important car la montée en compétences est essentielle pour rester compétitif. Je pense en particulier aux outils digitaux devenus indispensables pour répondre aux besoins des clients.
Le nombre croissant de travailleurs indépendants modifie en profondeur les relations sociales, la nature même du dialogue social. Prendre en compte la multiplicité des trajectoires individuelles, des besoins de formation, des statuts, des difficultés rencontrées dans les relations, est indispensable pour construire un développement durable dans le secteur.
J’ai pu constater que les statistiques existantes au plan national ne rendent pas bien compte de la diversité des statuts et des parcours. Il est important de les mettre en lumière pour répondre aux besoins. Il faut donc créer de nouveaux espaces de dialogue et des outils fiables pour mesurer ces besoins.
Les freins existent mais ils sont d’ordre culturels et sont très fragiles du point de vue juridique. En effet, le Code du travail n’est pas incompatible avec la loi Hoguet, fort heureusement ! Et je rappelle que la loi Hoguet a été votée au moment où aucun des statuts dont nous parlons aujourd’hui, autant le portage salarial pour les négociateurs que le régime de microentreprise en franchise de TVA pour les agents commerciaux, n’existaient à l’époque. Enoncé qu’il y a une incompatibilité pour le portage salarial, ce serait énoncer de la même façon qu’il y aurait une incompatibilité pour le régime de microentreprise en raison de la franchise de TVA. Ces raisonnements ne tiennent pas et sont aujourd’hui anachroniques.
Par ailleurs, et j’ai pu le vérifier, les CCI valident un CERFA dont la case cochée est “salarié” puisque le statut juridique de la personne est celui de salarié. CCI France rappelle d’ailleurs à l’ordre les CCI qui ne respecteraient pas ce process. Au mieux, on pourrait imaginer une case de plus dans le CERFA qui citerait le cas du portage salarial si cela peut rassurer certains acteurs. C’est assez simple à faire. Mais le droit en la matière est clair : le CERFA vient juste le traduire dans la relation avec les administrations publiques.
Le portage salarial est prévu par le Code du travail, et une entreprise de portage salarial (EPS) a une activité exclusive de portage salarial (article L. 1254-24). Elle ne peut donc concurrencer une agence immobilière, ni être titulaire de la carte T. Les choses sont clairement énoncées là aussi. C’est l’agent immobilier qui délègue sa carte. L’EPS doit quant à elle faire son seul “job” : sécuriser la personne en portage salarial, facturer sa prestation, et la conseiller dans le développement de son activité. Chacun a un rôle bien défini.
Enfin, une autre crainte qui est parfois émise est celle sur le fait de faire appel à une personne en portage salarial sur une longue durée. Il faut rappeler que la durée maximum d’une mission est de trois ans sur un même objet, et qu’une vente est l’objet d’une mission. Où est donc le problème ? Le négociateur a une expertise dans son domaine qui justifie de faire appel à lui, c’est l’article L. 1254-3 du Code du travail.
J’espère que les plus frileux vont s’adapter car le portage salarial en lui-même n’est pas un enjeu puisqu’il permet aux personnes faisant appel à ce statut d’avoir une meilleure protection sociale.
Le vrai sujet, c’est celui de comment renouveler un dialogue social avec les indépendants dans leur diversité, et répondre à leur besoin dans un secteur très attractif.
Il faut rappeler là aussi que le secteur de la transaction immobilière est un secteur des plus actifs en matière d’emploi, salarié, et de création d’activité d’indépendant. C’est à valoriser et non à restreindre. On peut s’attendre à ce que le nombre d’entreprise en régime de microentreprise (autoentrepreneur) dépasse les 2 millions en 2022, tous secteurs confondus, et il n’y a donc pas de raison que la croissance que connaît le secteur en la matière ne continue pas. Il y aura donc de plus en plus d’agents commerciaux, et sans nul doute aussi de négociateurs immobiliers.
Je ne pense qu’il ait le temps de lire tous les rapports qui sont publiés ! Ce qui est sûr c’est qu’il y a une volonté des pouvoirs publics de prendre en compte l’équilibre entre l’indépendance et la protection sociale.
Par ailleurs, il faut souligner que les trajectoires professionnelles s’accélèrent. Beaucoup de personnes n’ayant jamais travaillé auparavant dans le secteur immobilier se lancent dans l’activité d’indépendant dans la transaction immobilière. L’enjeu majeur est donc celui de la formation pour bien prospecter, maîtriser l’ensemble des règles pour sécuriser le consommateur et l’agence / réseau.
Il faut donc accompagner plutôt que restreindre. Il s’agit donc bien de libérer la croissance pour les acteurs et de sécuriser les travailleurs, indépendants comme salariés, et les consommateurs. Cela suppose de sortir des freins culturels pour construire les voies de progrès durables pour chacun. Ne pas opposer les statuts entre eux, mais au contraire en souligner les différences, les atouts, les risques, comme les complémentarités.